Textes-photos-vidéos-éléments de
décor-costumes ne sont évidemment que des
reflets d’un moment intense de théâtre qu’on
a vécu et que d’autres ne pourront jamais
connaître. Mais on aime à retrouver ces moments
et on aimerait les faire partager à d’autres.
Ces lambeaux de
spectacle peuvent tout au plus contribuer à mieux
faire comprendre toute la complexité d’une
création théâtrale. Suggérer d’autres
pistes de recherches, des voies théâtrales pas
ou trop peu explorées…
► Scénographie
de rue :
Scénographies déambulatoires,
portées, tirées, poussées, manipulées.
- LE PERIACTEUR (Exposition Universelle,
Lisbonne, 1998)
(Création : Jean-Claude De Bemels, conception et
réalisation technique : Bruno Renson, décoration
: Jean-Claude De Bemels, Julie Delwarde, Peggy
Frankart, Pieter Heycken, Geneviève Périat et
Raphaël Rubbens)
Lors de l’exposition universelle de Lisbonne en
98, Joao Brites, du Théâtre O’Bando, fut
chargé de la conception d’une animation de rue
dans le cadre de l’expo. Il lança l’idée d’une
parade de « machines à pérégriner ».
Suggestion d’un Portugal qui connut l’expansion
coloniale, les grands voyages, les grandes
découvertes. Brites demanda à douze
scénographes ou théâtres de concevoir chacun
une machine à pérégriner. Ainsi, Jean-Claude De
Bemels inventa le Périacteur, machine : machine
destinée à être tractée et poussée par deux
ou trois personnes.
► Scénographies
inspirées par un matériau :
- le BAMBOU (dans l’installation
présente)
Un matériau fascinant au théâtre pour sa
légèreté, sa souplesse, mais aussi sa
robustesse.
Le scénographe l’a souvent utilisé pour ces
raisons : des bambous comme supports d’étendards,
des petits bambous comme armatures de costumes
aériens ou de chapeaux étonnants dans un opéra,
décoration légère de chars énormes dans la
Parade Zinneke, …
Des bambous de 5 mètres reliés entre eux par des
soieries légères forment un décor mouvant que 2
ou 3 personnes peuvent manipuler sans effort.
Le bambou est une matière superbe, quasi dorée
dans les éclairages.
Son seul « défaut » est de se fendre s’il
fait trop sec, et de ne supporter ni clou ni vis.
Regardez bien le chemin qu’on vous propose
ici, tout est lié, noué, ligaturé. Le bambou
oblige le scénographe à renouer avec les
élastiques !
Le bambou est source d’inspiration pour des
techniques à redécouvrir…
- l’EAU (dans « Fin de partie » et
« La soupe au crapaud »)
- FIN DE PARTIE de Beckett - Mise en
scène : Marcel Delval - Théâtre Varia, 1984.
Le Théâtre Varia allait être
rénové. On pouvait imaginer une
scénographie qu’on n’aurait jamais osée
dans un théâtre tout neuf.
L’idée fut de suggérer un monde mis sous
eau / un théâtre où l’eau monte. Tout le
Varia, de mur à mur, transformé en bac à
eau. De l’eau partout, jusqu’au mur du
fond. De l’eau jusqu’au bord des pieds des
spectateurs.
- LA SOUPE AU CRAPAUD de Didier de Neck
et Bernard Chemin - scénographie sur une
idée de Bernard Chemin - Théâtre de
Galafronie, 1983. Être scénographe, c’est
parfois se mettre au service d’un metteur en
scène ou d’un créateur pour l’aider à
réaliser son idée, fut-elle apparemment la
plus farfelue ou la plus impossible. Par
exemple, l’envie de jouer dans une énorme
assiette à soupe, qui devient la scène où
vont se matérialiser les rêves d’un gamin
qui ne veut pas manger sa soupe…
Le théâtre devient alors le lieu fabuleux de
l’objet hors mesures.
Une cuillère de 2 m 70 dans une assiette qui
contient 5000 litres d’eau !
Scénographie de tournée (montage et
démontage tous les jours, transport dans une
camionnette)
- SOUS LE CHAPEAU D’HENRI de Philippe
Léonard et Sylvie De Braekeleer, sur une
idée de Michel Bernard - Mise en scène :
Sylvie De Braekeleer - Théâtre Isocèle,
1996. Spectacle créé collectivement
sur le thème d’un personnage qui a
réellement existé (à la mort de sa maman,
il a commencé à peindre sa maison,
intérieur et extérieur, le jardin, les
meubles, son chapeau, ses vêtements, sa
vaisselle... de milliers de points de couleur,
devenant progressivement une attraction dans
son village), SOUS LE CHAPEAU D’HENRI est un
spectacle pour jeune public destiné à
tourner pour les enfants de 6 à 12 ans, dans
les écoles ou les lieux culturels, pendant
les heures scolaires.
Décor à monter/démonter régulièrement.
De Bemels invente un lieu à jouer, une sorte
de structure de maison qui est un assemblage :
ni écrous, ni vis, mais des emboîtements. Et
toute cette structure assemblée peut
facilement bouger, trembler, si le comédien l’actionne,
si le comédien fait bouger un seul portant,
toute la structure bouge : comme si une
tempête, un grand vent, passait sur la
maison. Image très impressionnante et
immédiate, réalisée avec des moyens ultra
simples, de délabrement, de ruine, de
fantôme de maison…
Difficulté supplémentaire, quand il s’agit
d’un théâtre de tournée, et que le décor
est une assiette devant contenir 5000 litres
de « soupe » ! (voir LA SOUPE AU CRAPAUD)
►
Scénographie permettant un autre rapport au
public :
- LA MISSION de Heiner Muller -
Mise en scène : Marcel Delval et Michel Dezoteux
- Théâtre Varia, 1986.
L’idée du départ fut de placer le spectateur
en position de voyeur pour cette pièce qui
propose une réflexion poétique et violente sur
la Révolution française. 80 spectateurs, pas un
de plus, surplombent l’aire de jeu : parquet d’ambassade
qui dévoile en se soulevant un bourbier : celui d’où
émergeront les morts (les souvenirs), celui où s’affronteront,
réellement et physiquement, Danton et
Robespierre.
La position du spectateur est ainsi accentuée,
au même titre que celle de l’acteur. La
Révolution est finie, les morts racontent, le
temps est théâtral. L’espace de jeu est cerné
de portes qui sont celles des loges des
comédiens. Et le spectateur est témoin de leurs
changements de costumes ou de rôles. Quelqu’un
qui vient de mourir traverse l’espace pour aller
se doucher. Par le biais des portes, on passe sans
problèmes du XVIIIème au XXème siècle. Un
personnage en perruque succède à un personnage
en complet-veston. Tout est normal pour le
spectateur-voyeur conscient d’être au
théâtre.
► Scénographie
« partenaire » :
- DIOTIME ET LES LIONS de Henri Bauchau -
Mise en scène : Gisèle Sallin - Théâtre des
Osses, Fribourg, 1994.
Un dispositif simple : 50 perches en bois de 45 mm
de diamètre et de 5 m de long, reliées entre
elles par des fils pour former un carré de 5m de
côté. Le tout suspendu à 6 fils manipulés par
un régisseur par l’intermédiaire de 6 treuils
manuels. Le décor est ici un vrai partenaire pour
la comédienne, il modifie en permanence son
espace de jeu, et grâce à l’éclairage lui
donne son sens. Il devient mur, flan de cheval,
prison, barrière à franchir, toit de tente pour
dormir, dune dans le désert, ciel à la belle
étoile…Le troisième partenaire est évidemment
le régisseur qui travaille dans l’ombre en
permanence, avec sensibilité, attentif au jeu de
la comédienne.
Le scénographe conçoit l’espace
d’une représentation théâtrale en connivence
étroite avec le metteur en scène d’abord, mais
aussi avec toute l’équipe de création.
Comédiens, éclairagiste, régisseurs doivent
être en accord avec la scénographie proposée.
Le scénographe conçoit non seulement l’espace
de jeu où évolueront les comédiens, danseurs ou
chanteurs, mais parfois aussi l’espace des
spectateurs, de façon à créer des rapports
privilégiés entre le spectateur et l’acte
théâtral.
A l’aide des volumes,
des matières et des couleurs, le scénographe
crée l’espace spécifique qui répondra le
mieux aux impératifs du texte et de l’action :
espace partenaire de jeu pour les comédiens,
espace porteur de symboles, de réalités, de
contresens…en accord avec la dramaturgie du
spectacle, espace éphémère qui vit au rythme
des ombres et des lumières.
Le scénographe participe
à la magie du théâtre en apportant sa
créativité personnelle à l’équipe qui
réalise le spectacle, tout en assurant la
cohérence de tous les éléments visuels de la
représentation.
Jean-Claude De Bemels - octobre
2000
Mail : jc.debemels@periactes.be
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